La route de l’ananas. Costa Rica, Panama

Nous avons mangé quelques pains sucrés triangulaires, spécialité nicaraguayenne, puis embarqué à bord d’une barque à moteur pour remonter le rio Frio et atteindre le poste frontière du Costa Rica.

Le moteur brailla et l’eau forma deux bourrelets qui s’étirèrent en de longs rides de part et d’autre du bateau qui se frayait un passage entre les cris des grands singes et les puissants remous des reptiles sur la grève. La barque fit une halte à un poste militaire, et il y eut un contrôle de routine où nous avons présenté notre casse croûte pour la route, un sac de jute au fond duquel croupissaient une demi douzaine de bananes et quelques pains écrasés.

En débarquant au Costa Rica, il ne faisait aucun doute que venions de changer de monde. Dans la ville de Los Chiles, il y avait des voitures en nombre et plus un seul cheval. Nous progressions sur des pistes cyclables, les maisons semblaient équipées de tout le confort européen, les déchets étaient à leur place dans de grandes poubelles piquetées à chaque coin de rue dont les noms apparaissaient sur de petits panneaux proprets.

Maison Costa Rica

En quittant Los Chiles, nous allions pénétrer une sorte de Beauce tropicale, d’immenses plantations où l’on produisait des oranges et des ananas pour le monde entier. Nous tombions bien car les récoltes battaient leur plein et nous pouvions assister au spectacle inouï de l’agriculture moderne. Des machines montées sur chenilles optimisaient le rendement de légions d’ouvriers, imposant une cadence infernale et convoyant les ananas coupés au seuil de leur maturité vers des files de poids lourds qui sitôt chargés roulaient à tombeau ouvert jusqu’aux usines de congélation ou jusqu’au port de Limon. C’était donc cela, à notre premier jour, le Costa Rica : Un pays dirigé par une femme, une pays qui avait fait le choix de se passer d’armée, un pays apparemment riche et surtout, un pays doté d’une industrie agricole d’une effrayante dimension. Il va sans dire que les milliers de poids-lourds qui sillonnaient la campagne rendaient notre progression cauchemardesque.

Recolte ananas Costa Rica

Longeant des sommets luxuriants trouant les nuages à plus de 3 000 mètres, la route de Puerto Limon enjambait de magnifiques rivières aux lits de grosses pierres au fond desquels courraient une eau très claire. Mais toujours, il y avait ces camions pressés, de jour comme de nuit.

Rio Frio Costa Rica Bivouac Costa Rica

Un soir, nous avons quitté la région de production d’ananas pour celle de la banane. Les avions bourdonnaient dans le ciel, quadrillant les milliers d’hectares de plantation de l’aube au crépuscule pour déverser les produits nécessaires à l’obtention de fruits parfaitement calibrés. Ici, dans les villages d’ouvriers immigrés payés à la tonne coupée, le travail flétrissait les faces qu’aucun touristes ne venaient jamais voir. C’est ici, dans cet eldorado à l’arrière goût de cendre, que nous avons été accueillis comme des rois par une famille d’ouvriers. Employé dans les plantations, Geronimo commençait le travail à quatre heure du matin, six jour sur sept, et s’y rendait à vélo, vingt-quatre kilomètres tout de même. Nous écoutions attentivement. Sa femme était actuellement sans emploi, car la saison basse de la banane mettait au chômage la main d’œuvre la moins musclée qui à la saison haute n’était jamais de trop. Geronimo nous montra ses outils : Un rouleau de fil rouge et un paire de ciseaux, pendant que sa femme nous préparait une belle assiette de gallo pinto, du riz, des haricots et un peu de poulet mariné. En fond, la télévision hésitait, reliée par un câble à une roue de vélo perchée sur un bâton. Nous avons trouvé le sommeil heureux, heureux d’avoir partagé notre soirée avec des inconnus dans une immense plantation de banane.

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A Puerto Limon, de longues boursouflures blanchâtres cernées de reflets de plomb couvraient le ciel comme un marbre sombre. Une lignes délirante d’immeubles métalliques bouchait l’horizon, des milliers de conteneurs frigorifiques emboîtés qui attendaient d’être chargés sur un cargo. C’était donc bien là que courraient tous ces camions…

Conteners Puerto Limon Costa Rica Puerto Limon

En nous en éloignant, nous avons poussé un soupir de soulagement et retrouver les magnifiques plages de la côte Caraïbe et leur rideaux de cocotiers chargés de fruits accessibles en toute gratuité. D’ailleurs, je devais apprendre que l’acier de mon Leatherman n’était pas aussi résistant qu’une noix de coco. La lame du couteau se brisa en deux morceaux dans la coque de la noix qui ne bougea pas d’un iota.

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Nous avons roulé jusqu’à Kahuita où l’épicerie du village était tenue par des Chinois. Juste en face, un Niçois avait monté une petite boulangerie pâtisserie où il faisait du beurre contre quelques baguettes. Un type de San Jose, la capitale, nous raconta qu’il écoutait du Jean Michel Jarre pour planer sous acide et un peu plus loin, au bout d’une petite route de bord de mer, à Manzanillo, nous sommes tombés sur un homme de Naplouse abasourdi par notre aventure. Il s’était installé ici, avec monté un petit hôtel, devant le plus haut cocotier des Caraïbes. Il nous posa mille questions et se confia à nous. Récemment, il avait vu sur CNN un reportage très sérieux. Des chercheurs d’une université très sérieuse avaient tiré les conclusions suivantes sur l’expérience de l’existence : Chaque humain perçoit de la vie ce que sa sensibilité lui décrit. Il y a donc une forte probabilité que les hommes vivent chacun dans leur monde, tous individuellement, et que le monde commun ne soit pas réel. Il rit. « Quand CNN balance ce genre de nouvelle, on se dit que les mentalités avancent, non? Mais les Palestiniens sont-ils au courant de ça puisqu’ils continuent à courir derrière leur utopie ? » Et de conclure : « Si seulement les Palestiniens savaient qu’on peut être heureux loin de la Palestine ! J’aime ma terre, mais la paix encore plus. Je suis bien là où je n’ai pas besoin de tirer sur quelqu’un ».

Manzanillo côte caraibe Costa Rica

Nous avons monter la tente sous un goyavier et dès le lendemain nous passions la rivière Sixoala, la frontière avec le Panama, sur un grand pont de poutrelles d’acier. Les douaniers nous accueillirent avec le sourire. Il étaient contents de nous voir et n’exigèrent aucun document bancaire comme aux autres frontières du pays. Il faut dire que ce n’est pas ici qu’ils avaient le plus de travail. D’eux d’entre eux s’empressèrent de nous demander si nous reconnaissions un individu dont la photo était placardée au mur. L’affichette était claire, toute propriétaire d’une information permettant de le retrouver serait récompensé de cent mille dollars.

Frontière Costa Rica Panama DSC08608 frontière Costa Rica Panama

Désormais, nous allions progresser vers le sud par des pentes abruptes, dignes de montagnes russes. Sculptée comme un serpent dans l’horizon vertigineux de bosquets touffus, la route était stupéfiante de beauté quand se découvrait la côte Caraïbe réfléchissant le soleil en copeaux d’argent ou que se dérobaient à travers les futaies les petits villages pittoresques et leurs façades de planches ajourées. De grands arbres aux fleurs violettes s’émancipaient parmi les bananiers sauvages et les hautes herbes. Là où nous faisions haltes, on venait nous assaillir de questions et les enfants restaient plantés devant nous, les yeux écarquillés, comme devant deux extraterrestres. Ce n’était pas si fréquent de voir des blancs passer dans cette région. « Vous n’avez rien à craindre  ici», nous dit un homme venu à notre rencontre avec deux de ses enfants, avant de poursuivre : « Nous autres les indigènes, nous sommes des gens tranquilles, plus tranquilles encore que les noirs et les blancs. »

village panaméen DSC08651 Village Panaméen

Dans les villages, on cultivait le cacao que l’on faisait sécher sous de grands plastiques. Les maisons, surélevées sur de hauts pilotis en prévision des pluies généreuses, étaient de simples huttes de bois sous des toits de feuilles, semblables en tous points aux caricatures Incas des musées de civilisation précolombienne.

Enfant Panameen avec cacao DSC08647

Pour atteindre Panama City, il nous fallut franchir un dernier chas, le passage du « diable », par des pentes insensées tracées à la perpendiculaire de la dorsale continentale, cette même dorsale qu’on appelle plus au nord les Rocheuses et plus au sud les Andes. De l’autre côté, les jambes lourdes, nous avons retrouvé un climat bien sec, le même que dans le Montana, avec des forêt de beaux pins et des sols durs.

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En franchissant le canal de Panama par le pont des Amériques sous lequel s’enfilaient d’énormes navires, nous avions officiellement atteint l’Amérique du sud. Les hautes tours de Panama traçaient une mandibule sur tout l’horizon, écorchant les nuages. La ville avait célébré la veille l’ouverture de son premier métro. On fêtait ce jour l’inauguration d’un périphérique avec une nuit de feux d’artifices. Dans un mois, on élirait un nouveau président de la République. Partout on ressentait que les choses bougeaient, le dynamisme des mondes croisés et des cultures embrassées, la puissante alchimie du commerce et l’immense propagation de la vie.

Panama city skyline DSC08906 canal de panama

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